La fibre orthographique (Roubaix, 2014)
Quelle lumineuse, quelle étincelante idée ont eue les bonnes gens du Lions Club de Wasquehal en mettant sur pied un tournoi d'orthographe dans ce haut lieu du textile qu'est l'ENSAIT ! Y a-t-il, en effet, plus téméraire que ces adorateurs du participe quand il s'agit de se mettre, de son plein gré, dans de beaux draps ? Plus motivé à la perspective de ramasser une veste, au vu et au su de tout un chacun ? Plus enclin à se battre comme un chiffonnier pour une banale question de barème ? Mais aussi — et, ne fût-ce que pour cela, il sera beaucoup pardonné aux intéressés — plus prompt à tisser d'indéfectibles liens d'amitié autour des bizarreries de notre langue ?
Gageons que ces compétiteurs-nés, gens organisés s'il en fut, se seront fait un devoir, avant de s'impatroniser céans, de feuilleter leurs abécédaires ! Pas question, fussent-ils docteurs ès filatures (nombre d'entre eux relèvent tout juste d'une dictée sur le polar), de bayer aux corneilles, encore moins de laisser pisser le mérinos: ils auront, c'est certain, repassé la fibranne et la rabane, le jacquard et le cellular, la moire et le mohair. Misé, parce que ces numéros-là sont d'un naturel joueur, force kopecks sur le kapok. Épelé brocart jusqu'à plus soif pour ne pas avoir à essuyer, à l'heure ô combien fatidique du verdict, des brocards d'une tout autre sorte. C'est qu'ils savent, ces sages blanchis sous le harnois, que s'ils ne vont pas à bayadère, ce sont les robes bayadères qui risquent de venir à eux !
Ce bachotage éhonté suffira-t-il pourtant à déjouer les pièges de leur tortionnaire patenté, qu'ils soient franchement coton ou, au contraire, cousus de fil blanc ? Pour ce faire, il siéra surtout de s'agripper à la trame du synopsis : quelque absconses qu'en puissent sembler la plupart des péripéties, elle est sans contredit le meilleur des sauf-conduits, des laissez-passer pour le sans-faute...